Si être grand-parent est déjà un très beau rôle, le projet En Bavard’âges propose aux seniors d’en endosser d’autres lors de créations théâtrales pour les plus isolés.

Cette année, le projet est lauréat de l’appel à projets “Bien vivre sa retraite, le plus longtemps en autonomie” porté par l’Assurance Retraite Île-de-France et AG2R La Mondiale. Corinne Deroide, professeure de théâtre, nous explique la genèse du projet et nous donne sa vision de la retraite. Lever de rideau !

Le pitch de votre projet à vos grands-parents, ça donnerait quoi ?

Chez En Bavard’âges, nous créons des pièces originales et partons en tournée pour les diffuser à des personnes isolées, jeunes ou âgées. Nous nous rendons dans des résidences autonomies ou des petites structures associatives pour amener le spectacle à celles et ceux qui n’y vont jamais. On donne aussi des représentations privées que l’on souhaite conviviales et interactives. Par exemple, lors de notre dernière création intitulée “Les Petits Bonheurs”, les spectateurs nous ont partagé leurs petites joies autour d’un repas participatif.

Le théâtre et vous, c’est une pièce en combien d’actes ?

Je ne sais pas, mais au début ça s’est déroulé plutôt côté Cour(s) que jardin puisque j’ai été enseignante pendant 20 ans ! Entre-temps, j’ai découvert le théâtre et ça a été une révélation. De fil en aiguille, je suis devenue comédienne, metteure en scène et j’ai commencé à animer des ateliers de théâtre. J’ai finalement quitté l’éducation nationale pour pratiquer ces métiers à temps complet. J’aime l’idée que tout le monde puisse faire du théâtre, quel que soit l’âge, le genre, le milieu social… – car il est excellent pour l’épanouissement personnel et nous pousse à dépasser nos peurs. On va d’ailleurs essayer d’acquérir l’agrément Éducation populaire avec notre association Actes en Théâtre.

Vous ne jouez pas de Molière ni de Shakespeare mais des créations originales. Vous nous racontez votre processus créatif ?

Très souvent, les questions sociétales sont le point de départ de nos créations. Les seniors arrivent avec des envies, des sujets, des textes qui leur tiennent à cœur et on en fait des improvisations. Je m’en inspire ensuite pour écrire nos pièces. C’est un cheminement collectif : les participants choisissent leurs personnages, parfois ils participent directement à l’écriture… Un point important est qu’on ne tombe jamais dans la tristesse ou le pathos. Nos spectacles sont toujours drôles et émouvants ! Par exemple, notre création “Anniversaire” racontait l’histoire de trois princesses qui fêtaient leurs 60 ans. Car oui, elles aussi prennent de l’âge ! En ré-interprétant ce conte de fées, on voulait parler de la peur de vieillir, du désir de profiter de la vie, mais aussi montrer des parcours de femmes fortes.

En quoi le théâtre préserve-t-il l’autonomie des seniors ?

Les retraités ont besoin de liens affectifs, sociaux qu’ils trouvent en majorité en famille. Le projet les fait sortir de ce cadre familial où ils·elles sont considérés comme des grands-mères ou des grands-pères. Quand ils viennent à nos ateliers, ils·elles sont eux·elles-mêmes avec toutes leurs facettes : ils arrivent avec leurs joies, leurs doutes, leurs amours… Pratiquer un art et le donner permet de dépasser les difficultés de la vie et de trouver de la joie. Ça nourrit l’intellect, le présent… Je suis convaincue que ça aide à vivre mieux plus longtemps ! Il faut dire que le théâtre a l’avantage d’être très complet. On travaille sur le corps bien sûr, mais aussi sur la voix, la respiration, la mémoire. Pour moi, la conscience du corps est un point essentiel. D’ailleurs, nos ateliers commencent systématiquement par un training corporel pour se recentrer, se concentrer. Le théâtre, c’est l’art du ici et maintenant. C’est une bulle qu’on s’offre loin des tracas du quotidien. Alors il faut savoir mettre ses soucis à la porte pour être dans l’instant. C’est comme cela qu’on arrive à lâcher prise.

Vous serez accompagnés pendant 1 an par l’Assurance Retraite Île-de-France et AG2R La Mondiale. Qu’attendez-vous de cet accompagnement ?

Nous allons collaborer avec l’Assurance Retraite Île-de-France dans le cadre des ateliers PRIF. Ce sont des ateliers de prévention organisés partout en France pour aider les seniors autour de différents axes : lien social, alimentation, activité physique, outils technologiques… Nous organiserons donc des cours de théâtre qui permettront aux seniors de prendre la parole, de s’exprimer corporellement, de travailler leur mémoire… Nous donnerons aussi des lectures à haute-voix auprès d’un public composé essentiellement de retraités et à qui nous poserons des questions quant à leurs expériences et leurs envies. Les problématiques abordées pendant ces ateliers serviront de base à la création de vidéos notamment. De manière générale, ce partenariat est l’occasion à la fois de faire connaître notre expérience mais aussi de mieux cerner les besoins des seniors pour améliorer leur qualité de vie.

Parlez nous d’un·e senior qui vous a donné une leçon de vie

L’une des seniors que je côtoie est arrivée d’Algérie dans les années 1950, elle fuyait un mariage forcé. Lors de rencontres inter-générationnelles, elle raconte son histoire aux jeunes pour leur montrer qu’en temps que fille et femme, il est possible de choisir sa vie… Elle leur montre qu’il est possible de choisir sa vie, de ne pas subir ce qu’on nous impose. Pour moi, c’est un modèle de liberté. Je trouve certaines anciennes bien plus modernes que les jeunes assez réactionnaires que l’on côtoie !

Quelles sont les prochaines étapes pour En Bavard’âges ?

Nous sommes en train de monter notre prochain spectacle, “Coloc”. On va jouer mais aussi chanter ! Nous sommes aussi en train de travailler à la diffusion de lecture à haute-voix par téléphone auprès de publics senior isolés.

Selon vous, que signifie “Bien vivre sa retraite” ?

Personnellement, j’y serai bientôt et je pense qu’il est important de se poser plusieurs questions : Qui suis-je quand je sors du cadre professionnel ? Comment faire pour que la vie reste “active” même après la vie active ? Pour beaucoup, la retraite est synonyme de liberté : on peut se lever quand on veut, on n’a plus de chef à qui rendre des comptes… Mais paradoxalement, parmi les retraité·e·s que je côtoie, certain·es s’imposent volontairement des contraintes : ils·elles s’investissent dans des associations, veulent se rendre utiles aux autres… Elles·Ils ont un agenda de ministre ! Le tissu associatif français repose beaucoup sur les retraité·e·s. Je pense qu’il s’agit de trouver un juste équilibre, avoir une certaine liberté tout en étant engagé·e. Rester citoyen·ne en somme.

 

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