On reproche souvent aux vieux de raconter sans cesse les mêmes choses. Pourtant, 70% des petits enfants disent mal connaître l’histoire de leurs grands-parents. Pour partager et faire perdurer ces précieux récits, Entoureo propose aux grands-parents de créer facilement leur livre de souvenirs de vie. Cette année, le projet est lauréat de l’appel à projets “Bien vivre sa retraite, le plus longtemps en autonomie” porté par l’Assurance Retraite Île-de-France et AG2R La Mondiale. Rencontre avec Thomas Delage, cofondateur.

Le pitch de votre projet à vos grands-parents, ça donnerait quoi ?

L’idée, c’est de transformer les histoires des grands-parents en de beaux livres illustrés. Concrètement, les seniors reçoivent un coffret qui contient un micro cravate et un guide composé de grands thèmes (l’enfance, l’adolescence, la carrière, les rencontres, les passions…) avec, pour chacun, des suggestions de questions. Ils n’ont plus qu’à brancher le micro sur leur ordinateur et à suivre le rythme des questions – ou pas !. On récupère ensuite l’enregistrement que l’on retranscrit automatiquement grâce à une technologie de reconnaissance vocale. Les seniors sont libres de remanier le texte, d’y ajouter des photos… Puis nous nous occupons de la mise en page, de l’impression et deux semaines plus tard, ils reçoivent leur livre par la poste. On propose aussi un espace en ligne où les grands-parents peuvent stocker leurs enregistrements audio, leurs recettes mais aussi leur arbre généalogique… C’est un peu leur coffre-fort familial.

Au moment de créer Mon livre Entoureo, vous êtes partis d’une page blanche ?

Non, puisque l’idée est venue de nos bénéficiaires ! Initialement, Entoureo s’adresse aux familles souhaitant créer des souvenirs de vie avec leurs proches souvent non digitalisés. Sur notre site, on demandait aux utilisateurs de nous indiquer à qui ils comptaient offrir le livre : une mère, un grand-père, une tante… On avait aussi laissé l’option “moi-même”. En fait, on s’est rendus compte que de plus en plus de personnes se faisaient elles-mêmes ce cadeau. La pandémie n’est pas étrangère à cela : pendant le premier confinement, les gens étaient plus disponibles et la peur de la maladie – et de la mort – s’est trouvée exacerbée. C’est à ce moment-là qu’on a eu envie de permettre aux seniors de raconter leur propre histoire. Et pour conserver cette notion de partage qui fait partie de notre ADN, on a développé un module qui leur permet d’envoyer leurs avancées à leurs proches par mail.

Quel est ton parcours ?

J’ai étudié en école de commerce puis j’ai commencé ma carrière dans le conseil. C’est là que j’ai rencontré Kevin Lamberton qui est devenu mon associé. On avait tous les deux envie de s’investir dans des projets plus sociaux et pour nous le bien vieillir était un vrai sujet de société. Quand on sait qu’en 2050 30% des Français auront plus de 60 ans, ça nous touche directement ! On s’est dit : que peut-on faire maintenant pour construire des solutions qui nous seront utiles quand on sera plus vieux ? Et la vie a fait qu’on a vécu en même temps le décès de nos grands-pères respectifs. Nous nous sommes alors rendus compte qu’il y avait beaucoup choses qu’on ne savait pas sur eux. Tout est parti de là.

Vous utilisez le livre comme outil de transmission intergénérationnel. Pourquoi ce choix ?

Pour beaucoup, l’écriture a un véritable pouvoir cathartique. Certaines personnes ont vécu des choses difficiles : la perte d’un enfant, le décès d’un conjoint… Le raconter leur fait un bien fou. C’est parfois l’occasion de justifier certains choix du passé. C’est aussi une façon de donner du sens à son départ à la retraite. Quant aux familles, on leur permet de mieux connaître leur héritage et par conséquent de pouvoir le transmettre plus tard. Au-delà du fait de conserver une trace de ses proches, je pense que cet exercice nous aide à mieux les comprendre.

Qu’est-ce que Mon Livre Entoureo a de plus qu’un simple journal intime ?

Aujourd’hui, 60% des seniors veulent écrire leur histoire mais seulement 7% le font vraiment. Beaucoup se découragent ou s’autocensurent par pudeur. Ils nous disent : “Je ne suis pas De Gaulle ! Qui pourrait bien s’intéresser à ma vie ?”. On leur fait comprendre que c’est tout l’inverse : leur histoire fait partie du patrimoine familial, elle est d’une valeur inestimable ! Ensuite, pour transmettre l’histoire de sa vie, on peut faire appel à un biographe pour environ 2 000€. C’est un coût considérable pour beaucoup, d’autant qu’on n’a aucune assurance du rendu final. On peut aussi avoir recours aux outils de traitement de texte, mais la plupart des seniors ne les maîtrisent pas suffisamment bien pour être autonomes. On voulait mettre au point une solution abordable et surtout simple d’utilisation.

Vous serez accompagnés pendant 12 mois par l’Assurance Retraite Île-de-France et AG2R La Mondiale. Qu’attendez-vous de cet accompagnement ?

Au-delà de la dotation financière, avoir le soutien de la référence publique en matière de retraite est très valorisant. Ça va nous apporter de la visibilité et une reconnaissance précieuse. On a la chance de collaborer avec l’Assurance retraite Île-de-France depuis maintenant deux ans (Entoureo a été lauréat de l’appel à projets “Bien vivre sa retraite, le plus longtemps en autonomie” en 2019, ndlr) et on a bâti une vraie relation de confiance. Évoluer au cœur de l’écosystème du bien vieillir est un vrai plus puisqu’on est en lien direct avec nos bénéficiaires. On va pouvoir réfléchir ensemble à de potentielles adaptations de notre innovation à d’autres contextes, mais aussi construire notre mesure d’impact grâce à des retours d’experts. Cela nous pousse à faire un effort de formalisation et de prise de recul sur notre solution.

Quelles sont les prochaines étapes pour Mon Livre Entoureo ?

Dans un premier temps, on va mettre un coup d’accélérateur sur la communication pour faire connaître Mon Livre Entoureo. On aimerait également nouer de nouveaux partenariats qui puissent faire bénéficier notre innovation à un maximum de personnes.

Selon vous, que signifie “Bien vivre sa retraite” ?

Il y a plusieurs retraites dans la retraite. La retraite idéalisée, celle où on est en bonne santé, où on reste à domicile le plus longtemps possible chez soi et où on profite de ses proches. Et puis il y a la version plus réaliste où on doit faire face à la maladie, la perte d’autonomie. Pour moi, bien vivre sa retraite, c’est avant tout continuer à faire ce qu’on aime le plus longtemps possible et profiter de ses proches ! 

 

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