Imaginez un lieu où les retraités pourraient transmettre des gestes et des techniques, enseigner ce qu’ils ont appris tout au long de leur vie professionnelle… Imaginez qu’en face se trouvent de jeunes adolescents, qui ne demandent qu’à s’ouvrir sur le monde, se dégourdir les doigts et peut-être se trouver une vocation… C’est bon, vous avez l’image ? Maintenant, imaginez que cela se passe toutes les semaines, toute l’année, dans plus de 200 lieux dédiés partout en France. Alors avez compris le concept novateur (et pourtant évident) de l’Outil en Main, une association qui se développe depuis déjà plus de 30 ans.

L’Outil en Main est une association qui est née à Troyes, en 1987. Béatrice Bouy, vous êtes créatrice de l’antenne versaillaise de l’Outil en Main. Comment l’avez-vous connue en région parisienne, en 2020 ?

J’ai 4 enfants. Je cherchais une activité pour mon fils, qui voulait faire quelque chose de manuel. J’ai cherché des ateliers de menuiserie, et c’est comme ça que j’ai découvert L’Outil en Main, qui existait sur Antony. Leur offre était beaucoup plus large que la simple menuiserie. Ils proposaient au moins une vingtaine d’activités ! En fait, quand un jeune arrive chez eux, il essaye tous les métiers proposés. J’ai trouvé ce concept super pertinent et je me suis dit : il faudrait un Outil en Main à Versailles ! 

Donc vous avez créé une antenne… C’est un peu comme une franchise en fait ?

Effectivement, on s’engage à garantir un minimum le concept, un peu comme une franchise, mais on a aussi une certaine forme d’autonomie. Car il y a différentes façons de mettre en place une antenne. Nous, à Versailles, on est sur un modèle standard. On se présente comme une activité périscolaire. Les enfants s’inscrivent pour un an ou deux. Sur l’année, ils testent tous les ateliers – on ne peut pas choisir simplement menuiserie ou couture… C’est le principe ! Comme ça, à la fin de l’année, l’enfant repart en ayant essayé tous les métiers. Il aura forcément découvert des choses auxquelles il ne s’attendait pas.

Concrètement, voilà comment ça marche… Pour chaque métier, l’enfant doit suivre environ 6 séances. Ces petits cycles se concluent toujours par une œuvre personnelle ou collective. Par exemple, pour l’atelier coiffure, il s’agit de faire la coupe d’un copain ou d’une copine. Pour l’atelier cuisine, c’est repartir avec une pâtisserie. Pour la menuiserie, une lampe en bois…  

Mais alors quelles sont les limites ? On peut théoriquement apprendre n’importe quel métier dans l’Outil en Main ?

On ne parle pas d’apprentissage. Ni de formation. On appelle ça de l’initiation. Ce qu’on veut, c’est que les jeunes fassent, concrètement, avec leurs mains… On veut qu’ils touchent de la matière. C’est comme ça qu’on acquiert un savoir-faire, mais aussi un savoir-être. Quand on veut expliquer un métier aux jeunes, souvent on donne des conférences, on sort des diapos, mais en fait, il faut donner à faire. C’est pour ça que les enfants veulent devenir footballeur – c’est parce qu’ils touchent des ballons !

Concernant l’éventail de métiers, cela dépend de chaque association locale, des possibilités, des volontés de chacun… Ici, à Versailles, on débute ! Alors on commence petit, avec 5 ateliers et seulement 2 enfants par atelier. On a par exemple un architecte à la retraite qui fait des maquettes, ou encore la mécanique vélo et auto ! Mais effectivement, dans d’autres antennes, on trouve des choses très variées : les métiers traditionnels (électricité, charpente), les métiers de bouche, les métiers de l’esthétisme…

Tous les jours, je me rends compte de l’importance de maintenir une activité pour les retraités. 

Pour les retraités, quel est l’intérêt ?

En fait, cette asso, c’est une pépite ! Elle répond à énormément d’enjeux. L’intérêt pour les retraités, c’est de pouvoir transmettre. Ils voient, dans les yeux des enfants, comme une vraie revalorisation de leurs métiers. Ils se disent : les métiers qu’on a fait valent le coup. C’est important de transmettre ce qu’on a appris dans une vie, de former des jeunes et de faire perdurer certains métiers. Après l’incendie de Notre Dame, il y a eu une prise de conscience : ne pas perdre des savoirs, c’est un enjeu national ! Et pour créer des vocations, ça commence très jeune, environ vers 14 ans. L’Outil en Main peut créer des déclics de ce genre.

Et puis, pour les retraités, c’est aussi une façon de garder du lien, de voir du monde. C’est une manière de rester actif, satisfait et heureux ! Je travaille au sein du département des Yvelines, sur  les politiques de prévention de la perte d’autonomie. Et tous les jours, dans le cadre professionnel, je me rends compte de l’importance de maintenir une activité pour les retraités. 

Vous serez accompagnées pendant 12 mois par l’Assurance Retraite Île-de-France et AG2R La Mondiale. Qu’attendez-vous de cet accompagnement ?

Avec l’Assurance Retraite, on s’attend à un soutien d’une nouvelle envergure. Le but, pour nous, ce sera de faire grandir l’association, et surtout, d’élargir notre réseau de retraités. C’est la cible difficile à toucher.

On a commencé à faire de la publicité sur Versailles, sur Internet, un peu partout… Mais c’est assez difficile de trouver des retraités. L’enjeu, donc, ce sera de se faire connaître. Et puis il faut que d’autres antennes naissent dans les Yvelines. Notre ambition est énorme, mais les enjeux sont gigantesques aussi ! Ce qu’on veut, c’est que l’association fasse des petits, qu’elle se généralise dans le département, que des maires soient séduits et veulent reproduire la même chose dans leur commune, etc. Pour faire tout ça, forcément, nous aurons besoin d’être accompagnés et conseillés.

Pour vous, bien vivre sa retraite, ça veut dire quoi ?

Les retraités veulent se sentir comme des habitants normaux, parmi les autres. Mais les communes ont du mal à s’adresser à cette population. Pour tout le monde, la vieillesse fait peur, alors on la met à distance. On vit dans une société jeuniste : il faut être actif, productif, bref, il faut bosser… Alors quand on ne bosse plus, on n’est plus personne, et dans l’inconscient collectif, un retraité, c’est tout de suite un vieillard, une personne en situation de dépendance… Mais on a oublié 20 ou 30 années de vie, où le retraité peut faire plein de choses, où il peut être actif et utile à la société d’une manière différente.

Il manque des endroits où on s’adresse spécifiquement à ces “jeunes retraités”. Pourtant ils sont partout : ils sont élus des petits villages, ils tiennent les associations… Et maintenant, ils sont à L’Outil en Main ! Et cette association contribue à changer le regard qu’on porte sur les “vieux”. C’est bénéfique pour tout le monde.

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